qu'est-ce que (se) présenter

qu’est-ce que (se) présenter ?

Au sens stricte, présenter signifie rendre présent. « Montrer » ou « mettre sous les yeux » , précise le Wiktionnaire. Plus généralement : mettre à portée des sens. Présenter une table à quelqu’un implique qu’elle soit là, directement présente.

présenter : rendre présent

Au sens stricte, un site web ne peut pas présenter – rendre présente – une table. Quels que soient les images et les mots, un objet tel qu’une table dont on appréhenderait la prétendue présentation par le moyen d’un site web demeurerait irrémédiablement absent, non-présent et non-présenté. Les moyens généralement chargés de présenter sont des médias qui interviennent entre la présence elle-même et les personnes visées par la présentation. Or le présent est im-médiat. Être présent suppose une présence sans médiation, directe, immédiate.

En revanche, un site web est un espace numérique qui peut naturellement conduire à des productions de nature numérique via des hyperliens ou y faire place immédiatement en son sein, par exemple via des incrustations d’ iframes voire des reproductions de tout ou partie d’un code numérique hébergé ailleurs.

se présenter dans le plus simple appareil

On admet en général qu’il est indécent de se présenter nu, qu’il vaut mieux sortir couvert. Mais en même temps qu’ils nous rendent présentables, les habits nous cachent. Idem des faits, ils semblent qu’on les préfère couverts : on les couvre, on les recouvre volontiers d’images et de mots pour les rendre présentables. C’est une fonction de la justement nommée “couverture médiatique”, de la communication, que de recouvrir les faits de mots et d’images qui commandent ce qu’il faudrait penser. De nombreuses supposées présentations assurent une telle fonction de couverture médiatique des faits.

Nous désirons au contraire penser par nous-mêmes. Nous voulons permettre à quiconque de penser par lui-même ce que nous faisons, éventuellement d’en penser autre chose que ce que nous pensons, aussi bien de le critiquer. Pour cela, nous devons éviter autant que possible de dire quoi penser de nos faits. Les présenter tout de même, dans le plus simple appareil.

ne pas (se la) raconter

« Bref, je reste pour ma part dans la lignée des modernes et persiste à faire mienne cette idée qu’il vaut mieux ne pas nous raconter d’histoires. »

– Pierre-Damien Huyghe, De la fiction à la distanciation

L’époque incline aux récits. Les faits humains sont invitées à se raconter ( storytelling ), les personnalités à se mettre en scène ( personal branding ). Ces sortes de narrations sont toujours plus ou moins destinées à des personnes traitées comme clients potentiels d’un marché. Il n’est d’ailleurs pas rare que « vendre » vienne au lieu de « présenter ». « Se vendre », dit-on parfois au lieu de « se présenter ». Il faut comprendre ici : non seulement se montrer mais séduire, charmer, dresser de soi un portrait héroïque, fabriquer une réputation impressionnante, brillante, luisante, admirable[1], attractive. Pour mesurer l’effet de son discours, on demande à l’occasion sur un ton plus ou moins ironique : « je t’ai bien vendu l’idée ? ». Les idées aussi s’achètent et se vendent, s’échangent sur des marchés dont les règles ne sont probablement pas radicalement différentes de celles des biens de consommation. Au lieu des querelles de brevets, de tout aussi sérieuses, bien que souvent encore plus grotesques disputes de paternités intellectuelles.

Les productions théoriques ou pratiques sont rarement envisagées indépendamment d’un quelconque marché. La commercialisation requiert des élaborations narratives marchandes. Elle s’en sert. À travers ce service, les récits – les mots et les images, les écritures qui les constituent, les formes – ne sont pas mieux traités que les produits qu’ils vendent. Dans cette situation de dépendance commerciale de la production, les produits sont investis. Ces sortes d’investissements[2] sont des travestissements. Les produits s’y déguisent, les mots et les images s’y prostituent en moyens de communication. En principe, le même respect, la même considération, est due à tout : aux personnes, aux choses, aux êtres vivants, aux mots, aux formes. Rien n’est en soi de l’espèce de la ressource. Les personnes ne méritent pas d’être traitées comme ressources humaines plus que les mots ou les images comme ressources communicantes.

Une réputation est authentique dans la mesure ou elle est fondée sur des faits plutôt que sur la mise en circulation de messages et l’emploi de signes cotés qui prétendent au bien.

Raconter ce que les faits sont censés être ou faire ou représenter, comment ils doivent être compris, ce n’est pas les laisser faire. Ce n’est pas laisser faire les faits eux-mêmes et ce n’est pas laisser faire les autres humains : les laisser penser et si possible pratiquer les faits. L’opération narrative commerciale sert généralement à faire passer la bonne compréhension, à prévenir le risque qu’un fait soit mal compris, à le défendre contre de supposées mauvaises compréhensions. La démarche relève en partie de la logique assurantielle : on tente de s’assurer par avance de la compréhension d’un autre, de la contrôler. Il n’y a de mauvaises compréhensions que celles qui méconnaissent les faits. Des faits bien présentés peuvent faire l’objet, font même inévitablement et heureusement l’objet de diverses compréhensions qui ne nous conviennent pas toutes, et tant mieux.

Les réputations de vertu ou d’héroïsme sont généralement fausses. À y regarder de près et sans lunettes sublimantes, en dehors de son récit quel prétendu héros est à la hauteur de sa réputation ? Outre qu’elle est fausse, la réputation d’héroïsme est très concrètement nuisible au soi-disant héros : elle biaise les demandes qu’on lui fait. On nous demande encore trop souvent de prêcher la bonne parole plutôt que de faire du design. Une fois sera toujours de trop.

Le réel est plus beau, plus énigmatique, moins admirable mais plus aimable que les représentations qu’on en donne.

« Évidemment, c’est un historien ; il ne cache rien : il interprète. Ce qui est arrivé est plus beau ; je crois. »

Jean Giono, Un roi sans divertissement

[1] On néglige trop souvent la différence sinon la contradiction entre l’admiration et l’amour.

[2] Littéralement, in-vestir (veste, vestiaire…) contient l’idée de mettre dans un vêtement, de couvrir.