Intention du projet
Note d’intention
Jeu, espace et temps libre
« Skholè est un terme grec, voisin de l’otium latin, dont dérivent les termes “école”, “school”, “scholars”, etc. Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, skholè signifie loisir. Ce paradoxe n’est qu’apparent en cela que le loisir veut d’abord dire la liberté par rapport à la nécessité de subvenir à ses besoins, c’est-à-dire à ce que nous nommons la sub- sistance (…). Ainsi, relèvent de la skholè les pratiques du jeu, de la gymnastique, des banquets, du théâtre et des arts, ainsi que, dans une certaine mesure, la participation aux affaires publiques, la politique ».
Nous proposons de travailler à partir d’un jeu particulier – Minetest – pratiqué d’après un certain concept de jeu. Qu’est-ce qu’un jeu ? Dans la langue, le jeu est le lieu d’une brillante équivoque. Il désigne une pratique de loisir qui prend place dans le temps libre – a priori inoccupé – en même temps que, au sein d’un mécanisme, la situation d’une pièce qui « a du jeu », c’est-à-dire qui est mal attachée et qui par conséquent se meut dans un espace libre – inoccupé. Comme loisir, le jeu constitue une retraite vis-à-vis des affaires courantes, un moment voué au plaisir, une espèce de luxe à l’écart des exigences de la vie quotidienne et des impératifs de subsistance. Au sein d’un mécanisme, une pièce qui a du jeu est autrement dit flottante, pas totalement serrée ou enserrée dans le système qui l’intègre mais auquel, d’une certaine manière, elle résiste par le mouvement, dynamiquement, en bougeant malgré tout. Le jeu d’une pièce implique un vide qui constitue pour elle une sorte de refuge préservé de toute occupation pré-définie, qui est aussi le lieu d’une mobilité imprévisible, échappant au contrôle du mécanisme environnant.
[1] Ars Industrialis est une association fondée par Bernard Stiegler , aujourd’hui devenue l’ Association des Amis de la Génération Thunberg - Ars Industrialis .
Travailler l’entre-lieux, la relation spatiale entre les collèges
Les tensions mentionnées dans la demande prennent place entre élèves de différents établissements. Elles sont donc géographiquement localisées. Considéré au regard de ces tensions, l’espace urbain est polarisé par les collèges, réparti en territoires. Un horizon de la démarche est notamment de suturer les coupes socio-spatiales. Nous nous focaliserons par conséquent en particulier sur l’espace intermédiaire, qui sépare les collèges et qui peut les unir.
Nous l’envisageons comme une zone coopérative de jeu-création, un parcours urbain co-créé par les élèves, impliquant les professeurs, nous-mêmes, voire d’autres acteurs des établissements et de la ville. À partir de la modification de Minetest développée par l’IRI, nous projetons de reproduire l’espace réel pour y jouer collectivement, le modifier virtuellement et traduire certaines créations en installations réelles, aménagements, mobiliers etc.
Minetest, jeu à enjeux
Minetest est un jeu-vidéo de type bac à sable notamment inspiré du très populaire Minecraft, qui compte plus de 110 millions de joueurs actifs par mois. Il s’agit d’un monde ouvert dans lequel, à partir de blocs texturés, les joueurs peuvent construire une infinité de formes. Le jeu propose un système constructif simple et puissant qui n’impose pas d’objectif précis. Les joueurs peuvent y suivre leurs propres buts, cheminer, explorer, fabriquer librement des univers à l’esthétique résolument numérique bien que rudimentaire, intégralement composés de blocs qui figurent des sortes de pixels en volumes. Les joueurs peuvent aussi se donner collectivement des règles, élaborer des jeux dans le jeu.
L’Institut de recherche et d’innovation du centre Georges Pompidou (IRI), qui porte cette réponse, en a développé une modification pensée pour permettre le design urbain contributif. Nous proposons de nous en saisir pour engager une partie de jeu non seulement avec les élèves des collèges concernés mais encore en impliquant les professeurs, l’espace réel de la ville d’Aulnay-sous-Bois et ses acteurs.
Nous souhaitons co-construire les règles du jeu avec les élèves et les professeurs autour de plusieurs axes.
Co-construire les règles du jeu
La co-construction des règles est un axe de travail à part entière. Définir ensemble, avec les élèves des deux établissements accompagnés de leurs professeurs et de nous-mêmes, les différents objectifs, les interdits, les éventuels impératifs de temps etc. constituera une première étape de coopération focalisée par un objectif intéressant à plus d’un titre. Il faut en effet bien de l’intelligence pour qu’un ensemble de règles produisent un jeu ni trop simple, ni trop difficile, stimulant par ses défis et son scénario, intéressant, impliquant des coopérations etc.
À travers l’élaboration collective de règles, par les élèves des deux établissements (accompagnés), il s’agit par ailleurs de débuter la coopération par le fait de se mettre d’accord. La co-construction des règles favorisera leur respect ultérieur et stimulera l’implication dans le jeu.
Articuler réel et virtuel
L’approche de la modification de Minetest développée par l’IRI repose sur une correspondance entre les espaces réel et virtuel. L’espace virtuel reproduit l’espace réel et permet d’en tester des modifications pour éventuellement les réaliser. En l’occurence, il s’agirait de développer cette correspondance.
Nous avons à cet égard plusieurs idées en tête fondées sur les capacités du jeu. Le jeu peut fixer des objectifs dans l’espace réel tels qu’une coordonnées GPS dans la ville pour inviter à explorer certains endroits peu fréquentés, par exemple pour y récupérer des matériaux ou objets qui débloqueront des items correspondants dans le jeu. Le jeu peut servir d’espace de conception de formes ensuite possiblement traduites dans le réel, au besoin avec le concours des professeurs et/ou des intervenants. Le jeu permet le design urbain de la ville d’Aulnay-sous-Bois.
Mettre du jeu dans les relations
La demande mentionne « une rivalité entre élèves de différents collèges ». Les tensions sont des phénomènes normaux de la vie sociale. Lorsqu’une bande se forme, éventuellement s’oppose à une autre, des individus se lient davantage les uns aux autres, forment un bloc relationnel solidaire, plus compact, moins poreux. En ce sens, le groupe relève d’une contraction, d’une solidification, d’une diminution de la dynamique des rapports entre individus. Le jeu peut permettre de détendre les relations entre personnes, décontracter les éléments du groupes, voire (re)composer les relations.
Pour ce faire, nous envisageons notamment de nous servir du levier de la composition d’équipes de jeu. Il est possible de définir des équipes mixtes composées d’élèves de différents collèges. Il est aussi possible de recomposer régulièrement les équipes de manière à donner à des rencontres inhabituelles les occasions de se produire. Le fait que le jeu donne des objectifs dans l’espace réel serait une manière de contribuer à la mobilité réelle entre les collèges. Par exemple, un joueur d’une équipe pourrait être amené à se rendre au QG de son équipe dans la salle informatique d’un autre collège.
Explorer les formes numériques
Minetest a une esthétique très marquée. À rebours des ambitions généralement photo-réalistes des jeux-vidéo, Minetest, qui hérite notamment de Minecraft, à une allure brute, rudimentaire et pourtant résolument numérique. Cette allure découle directement du parti-pris fondamentale du jeu : proposer un système de construction simple, accessible au plus grand nombre.
L’esthétique du jeu manifeste finalement les qualités formelles du numérique dans ce qu’elles ont de plus élémentaire : le pixel, les tailles standards, les motifs répétés, les couleurs uniformes, les saturations et les intensités surnaturelles. Dans sa simplicité, Minetest présente une esthétique plus franchement numérique, plus moderne en ce sens que les jeux-vidéo qui imitent les formes réels, comme faisait la peinture classique.
Rudimentaire, l’esthétique de Minetest n’en est pas moins puissante. Les univers créés par les joueurs sont riches et variés. De nombreux artistes s’en sont d’ailleurs saisi.
Minetest constitue un bon outil pour découvrir et explorer l’esthétique numérique. Les formes créées dans Minetest, composées uniquement de blocs, se prêtent facilement à des traductions dans le réel moyennant des briques en argile, carton ou autre.
Pourquoi Minetest ?
Minetest est un jeu de construction de type bac à sable (c’est-à-dire dont les règles sont définies par les joueurs), créé par Perttu Ahola (alias « celeron 55 ») en 2010. Son code est en libre accès et la communauté de joueurs l’améliore en permanence. Inspiré par Infiniminer, Minecraft et d’autres jeux vidéo, les manières d’y jouer sont très similaires à celles de Minecraft : les joueurs peuvent construire et détruire, à partir de plusieurs types de blocs, dans un monde ouvert et en trois dimensions. Cela permet de modéliser des structures de toutes formes, sur des serveurs en multijoueurs ou en solo. Un nombre grandissant de mods et de packs de textures permet aux joueurs de personnaliser le jeu de différentes manières. En savoirs plus
Les avantages de Minetest
- Articulation de l’imagination et du calcul
- Outil “bac à sable” capacitant
- Logiciel libre ouvert à de multiples configurations
- Ouverture vers les outils d’architecture
- Ouverture vers les outils de modélisation urbaine type BIM - Building Information Modeling
- Liens avec des ressources techniques et méthodologiques
- Gestion de projets par couches, espaces et temporalités variés
- Ouverture aux disciplines enseignées
IRI - Institut de Recherche et d’Innovation
L’IRI mène des recherches académiques étroitement articulées à des expérimentations sociales, pour développer de nouveaux savoirs en utilisant le numérique. Dans cette perspective, l’IRI a développé un dispositif numérique nouveau, à partir du jeu vidéo numérique Minetest afin de permettre aux élèves d’Aulnay-sous-Bois de concevoir et de modéliser des espaces urbains de leur environnement. Cette contribution des élèves est mise en œuvre dans le cadre du projet UNEJ - Urbanités numériques en Jeux mené avec l’Académie de Créteil et le Département de la Seine-Saint-Denis.
IRI & Praticable
Ensemble, l’IRI et le studio praticable, qui partagent la même philosophie héritée de Bernard Stiegler , souhaitent faire de cette résidence l’occasion de mener une recherche commune avec les élèves et la communauté éducative autour d’une pratique urbanistique, de design et artistique du dispositif Minetest pour “penser/panser” le parcours entre les 2 collèges et ainsi travailler leurs “liens” aussi bien physiques que symboliques.